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Подпись / Tag / Samara - Shiryaevo, 2014

Using of the signature of the Russian painter Ilya Repin as justification of vandalism of mine


realised in framework of special project Shiryavo biennial of contemporary arts "Burlaks: between Europe and Asia"

Le tag, cette signature de l’artiste de rue, son signe de reconnaissance, qui se pose partout en combat ou en relation avec l’espace urbain, est d’actualité chez l’artiste Dmitry Bulnygin alias Ilya Répine. Né il y a 170 ans, il réapparaît et vient rôder autour des collines de Jigouli, au village de Shiryaevo, à la périphérie de Samara et dans la vieille ville. Il écrit son nom sur les façades démolies, les maisons brûlées, les trottoirs, mais aussi sur les berges de la Volga, l’embarcadère et auprès des fontaines où les touristes et les habitants aiment se faire photographier et là où vivent seulement les sans-abris. En tant que revenant, il adapte son nom et laisse enfin tomber le vieux « E » de l’ancien alphabet pour être lisible par tous. Son existence illégale va de paire avec ses préoccupations : bomber, là où, forcément, cela est interdit.

Mais Répine sait qu’il n’est pas n’importe qui. Le « monument » qu’il représente dans la culture russe lui ouvre toutes les portes et lui offre en plus les murs ! Répine le vandale est donc bien identifié dans les mémoires collectives. A partir de ce « malentendu » dans les zones frontalières entre art et vandalisme, l’artiste met en évidence les relations et les contradictions entre l’homme et la société.

Le revenant de Répine s’obstine, par son travail de marquage, à répéter son nom comme un mantra. Il montre l’acharnement du dominant cherchant à « être vu et reconnu par tous ». La forme de son labeur consiste en une signature qui agit comme un signe, une « griffe » de son passage. Le comportement de cet homme qui cherche à se mettre au devant de la scène se rapporte à celui de l’animal qui marque son territoire selon les lois naturelles. La répétition du tag dans l’environnement urbain fait également partie de la loi de la rue dans le milieu du street art qui veut que celui qui bombe le plus de tag est respecté et monte dans la hiérarchie.

Parmi la centaine de tags réalisés, le passant peut, comme dans un jeu de pistes, deviner la composition de l’image et les associations entre les éléments naturels et urbains qu’a voulu relever l’artiste par sa signature. Et parce que Répine a le souci du détail et pour être sûr que son œuvre sera perçue, il retourne sur les lieux de son délit et photographie son acte. Il cite par ces photographies ses précédentes peintures, de nombreux portraits et paysages des environs de Samara. Le visiteur de l’exposition qui aurait échappé à son intervention urbaine, peut alors chercher la signature bien « placée » du peintre dans le cadre de l’image photographiée.

En signant les lieux de sa main, il fixe leur état actuel. L’artiste, parmi ses déambulations, remarque les changements du paysage urbain dont les quartiers les plus cossus du 19ème siècle ne sont souvent plus qu’un tas de ruines, attendant incendie après incendie leur disparition totale. Mais, il est également connu que Répine n’est pas un peintre documentaliste ou historique au sens strict, il a même un certain goût pour la falsification. Une de ses peintures les plus célèbres, celles des « Haleurs de la Volga » n’est pas, comme il pourrait être pensé, un témoignage documentaire de son époque. Au moment où vivait l’artiste, les haleurs avaient déjà disparu. Sa peinture, raconte bien un moment historique, mais d’après la reconstitution d’une scène spécialement re-fabriquée et illustrant ce phénomène exceptionnel des efforts humains. Répine a aussi un penchant pour la mystification. Il aime le jeu d’identité, ayant conscience du pouvoir donné par un nom. Diana Matchulina, artiste et critique d’art, rappelle le rôle pionnier de Répine dans une œuvre ready made. L’artiste aurait apposé sa signature sur une peinture qu’un vendeur avait fait acheter à une dame comme un « vrai » Répine. L’artiste démontre ainsi le pouvoir d’une signature qui fait l’œuvre.

Se jouant de la croyance aveugle en un nom ou en une chronologie historique, la présente production artistique s’intéresse au récit sur la mythologie d’un artiste qui dépasserait les temps et à la représentation de l’espace et de l’image spatiale. Ainsi, le projet repense le rapport géographique sous l’angle de la narration historique, il se fait critique du savoir, qui consisterait en un modèle maître irréprochable et à reproduire. Répine n’apprécie guère les injonctions du pouvoir. Sa résistance est visible par la liberté d’écrire avec les lettres de l’ancien alphabet, de choisir sa religion et son camp politique. Il est un solitaire face à une idéologie dominante qui impose au peuple un nouveau système au nom d’un pouvoir qu’il ne peut qu’accepter ou subir.
La multiplication des signatures est une lutte dans la ville, l’action remet en question l’appropriation de l’espace commun par l’Etat - qui dit là où il faut écrire et là où il ne faut pas  au nom d’un « ordre » dont il délimite les cadres. L’action de l’artiste renvoie alors à une démarche individuelle qui consiste à se réapproprier personnellement un espace -  par une expérience subjective, par le faire et la création.
Les habitants reconnaissent la signature de Répine : la preuve que la place de la culture est aussi dans la rue et que le lieu ne doit pas seulement être un espace aseptisé et de simple transition d’un point à un autre. L’espace public doit être également un espace de jeu visible par la population. C’est ce qu’initie dans le cadre de la Biennale de Shiryaevo le projet original des « Bourlaki : entre Europe et Asie » qui propose aux artistes invités de penser, avec Répine, à la relation entre l’art et les habitants de Samara et Shiryaevo.

Louise Morin

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