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A partir de ces formes et contre-formes autrefois fonctionnelles qui ont accueilli et soutenu des architectures à présent consumées, un agglomérat s’est consolidé et a grossi à sa place. Il a grandi à la manière de ces arbres fromagers envahissant les ruines des civilisations oubliées, à la différence, qu’au lieu de l’humus, c’est le déchet qui sert de nid et de racines à ses pousses tentaculaires. Un nouvel ordre a pris le dessus, celui où les ruines contemporaines donnent naissance aux formes naturelles centenaires, et où le consumérisme est consommé par la nature.
Les sculptures aux tubes cylindriques évoquent une termitière, motif récurent chez l’artiste. L’habitat biogénique de bois digéré, de terre et d’excréments, est réinterprété pour dresser un état de l’architecture actuelle. Dmitry Bulnygin fait appel à plusieurs types de bâtiments, se rapportant à différentes idéologies et périodes historiques.
Installations et sculptures se dressent comme pour toucher la perfection. Elles rappellent les monuments commémoratifs ou colonnes de la victoire. Elles se pointent vers le ciel comme une révolte inutile contre la mort. Mais c’est dans la structure même de ces « termitières » que se trouve leur propre destruction : lorsqu’elles sont cheminées d’usines, l’excès de leur rendement détruit leurs fondations, ou, hantant le gratte-ciel stalinien, c’est au tour de la façade de se déformer sous son propre poids.
La génération suivante d’architecture, les « Khrushchevki » (habitations produites en série sous Khrushchev) vers lesquelles les habitants ont jadis massivement migré, sont représentées par l’empilement de boîtes rappelant leur production rapide et en «kit». Le réalisme de la maquette des logements associé à la réalité des matériaux jetables confirment leur caractère spectral.
Quant aux architectures du futur, elles ont déjà péri et sont en phase de reconstruction. Dragons aux têtes trop nombreuses, les tours se mutent en bulbes d'oignons, renvoyant à un autre symbole de notre temps. Ces termitières de « deuxième génération » parlent du grand retour d’une « hauteur spirituelle », manifesté par la multiplication d’édifices religieux, ne changeant pas pour autant l’aspect macabre de la construction.
Louise Morin |