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Du graff au message de paix

« CASUS PACIS » au SAM de Saint-Pétersbourg

Par Louise Morin, avec les extraits de textes de l’œuvre de Radya, (citations traduites du russe et en majuscule dans le texte)

 
 

Radya. Vue d’ensemble d’une des façades du SAM sur le territoire de l’usine de plastique

 
 

SAM c’est le nom du « Street Art Museum » qui vient d’ouvrir à Saint-Pétersbourg, mais « sam » c’est aussi la racine du mot slave « soi-même » qui apparaît dans « samizdat », autoédition et dans « samostoitelno », autonome… S’il est indispensable de travailler de manière autonome, il faut reconnaître la richesse de collaborations telles que l’est la présente exposition au SAM, aux messages de paix sous de multiples formes. Passant par l’humour et la provocation, par le lyrique et le politique, la coalition d’artistes et de professionnels prend tout son sens.
L’idée de l’exposition CASUS PACIS a été lancée dans le contexte de la commémoration des cent ans de la première guerre mondiale. L’occasion de se rappeler les millions de pertes humaines qu’elle a engendrés, et, de permettre aux artistes d’exprimer leur antimilitarisme face à la situation actuelle entre l’Ukraine et la Russie :

 « (…) Comme il y a cent ans, pratiquement toute la société, y compris les artistes, est impliquée, si ce n’est dans les hostilités, dans la guerre d’informations. Nous sommes témoins de mobilisation des uns contre les autres et de séparation dans les valeurs culturelles privées et sociales, dans l’apparition et l’effacement de nouvelles frontières géographiques et morales. (…) Cent ans se sont écoulés. Aujourd’hui, les artistes cherchent ensemble à ouvrir de nouvelles voies, au moment où les élites politiques se dirigent vers l’affrontement. »
Extrait du texte de présentation à l’exposition sur le site CASUS PACIS

 
 

« She comes without demand », Rtue (Sébastopol, Crimée)

 
 

Soixante artistes de différents pays, en majorité ukrainiens et russes, ont investi l’espace gigantesque de l’usine de plastique. L’évènement est à la croisée de plusieurs initiatives : celle des propriétaires de l’usine, proposant la création du SAM dans les espaces et bâtiments inutilisés, et celles également de deux commissaires d’exposition, ukrainienne et russe. Anna Nistratova, pour la partie russe, explique que depuis longtemps, elle souhaitait inviter des artistes d’Ukraine, parce que l’art de rue y est largement développé et leurs travaux engagés.
Cette « prise de conscience » par l’art est commune et ne s’arrête pas à l’appel du musée, à un type d’art ou à une quelconque frontière. Radya a écrit sur une des façades de béton de l’usine, à sa manière, un manifeste de l’engagement de l’artiste qui travaille dans la rue :

« TOUT CE QU’ON VEUT » PEUT ÊTRE DE L’ART DE RUE, PEU IMPORTE LE GENRE.

C’EST LA QUALITÉ DU PROJET QUI EST LE PLUS IMPORTANT.

 
 

Détail de la façade où figure le texte de Radya (Iekaterinbourg)

 
 

Les employés de l’usine participent à la réalisation des œuvres, il s’agit d’une production en commun parce qu’ils travaillent ici, et aussi parce que, comme le signale Radya:

CE QUI EST « COMMUN » NE DOIT PAS DEVENIR « ÉTRANGER ».

LE RAPPORT ENTRE CE QUI NOUS EST « PROPRE » À CE QUI EST COMMUN EST LE PLUS JUSTE.

 
 

Préparation à la performance du collectif « Donatas » (Moscou)

 
 

Les messages de paix passent par la performance avec le collectif « Donatas », qui, masqué de « salo », le traditionnel lard indispensable à la cuisine, déclame : « Faites du lard, pas la guerre ! ». Quand les artistes ciblent l’occupation des lieux, leur système d’action passe souvent par « un plan B ». Celui-ci consiste à repérer des abris, comme dans la série photographique « Ukraine : la terre des possibles » de Sasha Kurmaz, ou à construire ceux-ci à partir de matériaux de récupération comme Brad Downey qui réalise des  « tente-atelier » dans l’espace urbain. Sans quoi, sans perspective ni toit, les figures d’hommes miniatures, dans les installations d’Isaac Cordal, s’embourbent jusqu’à leurs disparitions. Les individus sont seuls, bien qu’entourés de leurs clones, dans un monde composé de ruines. Le printemps y est gris comme la couleur blafarde de l’alcool avec lequel trinquent les dirigeants, et dont le geste, selon Escif, symboliserait le « Casus Belli » de nos sociétés.

 
 

Détail de l’installation « Follow the leaders », d’Isaac Cordal (Espagne)

 
 

A l’intérieur comme à l’extérieur, sur des registres variés de langages et venant de « communautés » artistiques différentes, celle du graff, de la vidéo, de la sculpture, de la performance, du dessin, les artistes témoignent d’une situation du monde qui les révolte. Ils rappellent les combats à mener, dont celui qui pourrait être un message de paix chez Radya:

IL Y A DES CHOSES QUI SONT RÉELLEMENT IMPORTANTES, LA DIFFICULTÉ, C’EST DE TOUJOURS SE LES RAPPELER.

L’art du présent prend son sens, quand il se trouve fixé dans l’espace d’une communauté, mais seulement pour un temps, et surtout pas pour l’éternité. C’est ce qu’exprime Kreemos, qui en reprenant le style de lettrage du vieux slave, peint une vanité où le mot « idéologie » est porté par les os d’une tortue, le fantôme de l’éternel.
 
 

« Idéologie », Kreemos (Moscou)

 
 

ECRIRE SUR LES MURS, C’EST LA MEILLEURE APPROCHE.

C’EST DIT - C’EST FAIT.

EN MEME TEMPS, C’EST UNE CHOSE TELLEMENT INTIME

LES CRAINTES DE L’HOMME NE SONT PAS SEULEMENT DITES, ELLES SONT FIXÉES, ET CELA DEVIENT COMMUN À TOUS.

La peur, de dire ou de faire, appelle au silence et à l’immobilité. L’art de la rue se confronte à ces peurs. Il s’oppose à un ordre ou à une autorité qui dit « où faire » et « que représenter ». Ce conflit est montré dans le travail de Dmitry Bulnygin, où des singes à képi siègent au mur du Kremlin, défendant leur territoire de tout vandalisme artistique, afin de ne pas disparaître eux-mêmes. Le mur, travail collaboratif et évolutif, invite aux interventions permanentes de sa surface.

 
 

« Le dernier mur », Dmitry Bulnygin (Moscou)

 
 

Il faut peindre partout, parce que des surfaces à s’approprier, il y en a pour tout le monde : de l’espace de la chambre à celui de la rue. La bombe de peinture a un pouvoir enivrant, montre Miki-Mike dans « Black », un de ses « bad comics » autoédités, où la bombe de peinture noire illimitée vient tout recouvrir. Ces histoires à l’humour noir mettent en scène le destin (souvent sordide) de personnages, sur fond de villes industrielles. L’auteur, prochainement présenté par le Boomfest de Saint-Pétersbourg, est également membre du collectif 665, qui dans le même style simple et direct travaille dans l’espace urbain. Sur leur peinture murale, les marottes dictées par le pouvoir et rassemblées sur les dix doigts ne tardent pas à tomber.

 
 

« Les mains du pouvoir », par le collectif 665 (Zaporojie, Ukraine)

 
 

Une pièce monumentale est spécialement amenée pour l’événement : celle de l’artiste Pasha 183, récemment disparu. Ce travail consiste en la reproduction de l’emballage de la tablette de chocolat soviétique « Alionka » sur une plaque de béton armé. Entre le monde perdu de l’enfance et un héritage trop lourd, l’image évoque un passé commun. Le renversement permanent sur lequel joue l’art de la rue, fait sortir l’objet quotidien de sa sphère pour s’offrir à tous.

 
 

« Alionka », Pasha 183

 
 

ON DIT, QUAND LE TRAVAIL EST RÉALISÉ LA NUIT, QU’IL EST LE TIEN.

QUAND L’AUBE ARRIVE, IL EST COMMUN.

Alors, comme le dit en « salut » Radya :  « BDI! », mot resté du vieux slave et qui se traduirait par « Reste en éveil! »

 
 

Attention aux horaires ! Ouvert le vendredi, samedi et dimanche de midi à 22h, avec une programmation concert. Du 28 juin au 15 septembre 2014. Pour plus d’infos, visitez le site : http://www.casuspacis.ru
SAM, 84, Chaussée de Révolution, Saint-Pétersbourg