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TERMITIERES Manezh, Moscou 11.02 - 17.03.16
Le termite est le premier animal à avoir construit des villes, il y a plus de 200 millions d’années. Sa structure biogénique, faite de terre et de salive cuites par le soleil, prend la forme de monticules, de montagnes ou de cheminées. Ce monde à part repose sur une construction agglomérée plus solide que du béton.
L’artiste Dmitri Boulniguine évoque, par le médium vidéo associé à la sculpture, ce type d’habitation, la termitière, s’intéressant à leurs formes organiques autant qu’à leur monde : il l’applique aux constructions de la ville de Moscou.
Entre dérives architecturales et ornementales, à l’image de l’architecture éclectique moscovite, l’artiste a produit des « sculptures-termitières » à partir d’une sélection de bâtiments contemporains et à partir des années 1930. Il en résulte une architecture compacte, tantôt façon pudding, tantôt stalagmite.
Le gratte-ciel stalinien se répand alors en un néo-baroque dégoulinant : l ‘élargissement exagéré horizontal du bas, le traitement de la matière par la masse et la suppression des angles, rendent les formes spongieuses et caverneuses, et pour cause, ces « termitières » sont entièrement faites de pli
La matière choisie pour leur façonnage est la bâche. Un matériau utilisé pour couvrir de manière « éphémère » les façades en reconstruction de Moscou et qui sert ici de surfaces de projection aux rêves de grandeurs architecturales, qu’il s’agisse de gratte-ciels en marbre ou des tours bétonnées.
L’artiste revisite un langage esthétique de l’habitat, passant de l’ornement de style « pompier » à la yourte improvisée entre deux chaises. La matière brute de la bâche sert de support au médium vidéo et les lumières de la ville sont projetées sur les termitières. Alors, la scène pittoresque s’associe à l’abri de misère.
Le pli drapé de la bâche qui recouvre la construction, c’est ce que l’on cache, pour (se) protéger du gel ou du regard. Aussi, cet empaquetage touche à une zone de l’entre-deux, comme état transitoire entre dissimuler et découvrir, habitation ou agrégats… Pliées, flétries, les termitières évoquent aussi une réduction d’un monde. Le changement de dimension peut rappeler un cocon vide ou qui s’ouvre, une roche ou fossile portant l’empreinte de l’organique.
Mais l’enveloppe, c’est aussi celle du linceul, une sépulture qui pose un voile et isole du reste du monde. Dans la scénographie de l’installation-vidéo, les îlots de lumière que sont les termitières, racontent un parcellement du monde. Elles se révèlent sur un fond sombre. L’idéal architectural, ici projeté, ne laisse rien voir du dehors, le dehors est néant. La façade est un extérieur sans intérieur, inondée de lumière, pleine de fenêtres aveugles et closes.
« Termitières-plis », il s’agit aussi de « termitières-temps », parce que les images projetées montrent une même vue sur un bâtiment pendant une journée. Les images sont relevées toutes les 20 secondes pour défiler sur la termitière. L’image vidéo témoigne d’une modulation de l’architecture venant transformer sa forme. Ainsi, apparaissent puis disparaissent différents étages du bâtiment, selon qu’ils sont éclairés ou engloutis par l’obscurité. Le medium vidéo est pris dans le bloc d’architecture et les plissements solides des termitières s’animent sous l’action du soleil, du vent et de la terre.
Enfin, ce sont des « termitières-chants ». Dans la poétique de l’intervalle où la lumière oscille du jour à la nuit, vibrent des sons en résonnance au défilement intermittent de lumières. On se rappelle que la perception du monde et la réactivité de l’animal sont souvent en rapport à la luminosité. L’écoute d’un bestiaire à la variété de cris et de chants fait revenir à un autre monde, celui autrement restreint des insectes. La vibration du monde du vivant, vent dans les arbres, courbe du soleil, lumières électriques… suit un algorithme du film, rythmé par la vie d’une faune fourmillante.
L’isolement des termitières, tout en amenant à une concentration sur un motif, « un monde » et ses variations, rend hommage à l’éphémère, à la vibration de tout phénomène vivant, mais témoigne aussi du caractère permanent des choses.
Louise Morin
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